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Le tabou de la sexualité en prison

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Privé de liberté, c’est être aussi privé de sexualité, c’est-à-dire privé de la rencontre avec l’autre, l’autre aimant, l’autre désiré. C’est une partie de son être que l’on met entre parenthèses, le temps de la détention, mais qui reste largement présent dans les souvenirs, les fantasmes et les frustrations.

L’absence de sexualité n’est pas le propre de la détention et beaucoup d’hommes et de femmes de notre société vivent volontairement ou non des temps d’abstinence, de blocage, de frustration, mais la prison présente la particularité d’être un monde refermé sur un seul genre et où les lieux de sublimation du désir sont rares.

Une perte supplémentaire
Avoir le sentiment de perdre sa sexualité, sa virilité, son désir tout simplement, c’est une perte supplémentaire qui contribue à la dégradation de l’image que chacun a de soi et plus dramatiquement de l’image que l’on a de l’autre. L’autre, c’est l’épouse, la femme, l’autre détenu, qui peut être entrevu à travers le seul prisme de l’insatisfaction sexuelle : ainsi, des rapports de domination et des fantasmes peuvent se jouer à travers des films ou des livres pornographiques. Mais beaucoup de détenus reconnaissent éviter une consommation pornographique trop importante qui ne satisfait qu’un désir voyeur et non charnel et disent qu’«après c’est pire qu’avant».
Le risque de ce corps contrit et prisonnier est que la mécanique se grippe et qu’après la libération elle ne se remette plus jamais en route. C’est évidemment la crainte de l’absence d’érection pour les hommes mais aussi la crainte du regard de l’autre sur son corps, la crainte de ne plus pouvoir vivre une intimité partagée et tendre car en prison il n’y a d’intimité partagée que contrainte par la promiscuité, ou violente dans le rapport avec les codétenus. Le Dr Acker, médecin à la maison d’arrêt de la santé à Paris, constate que l’angoisse sexuelle s’ajoute à la somme des angoisses concernant le couple lors de la libération. Et comme le fait remarquer Jacques Lesage de La Haye*, les troubles de la sexualité apparaissent souvent comme par surprise et viennent altérer les processus de réinsertion.

Les palliatifs à la misère affective
En prison, l’idée de sexualité est omniprésente et pourtant presque totalement absente dans le rapport normal à l’autre. Les palliatifs sont évidemment nombreux mais ils ne font souvent que souligner le désert affectif que traverse la plupart des détenus. On y trouve la pratique intensive du sport et de la musculation pour maintenir son corps dans une plastique parfaite. La masturbation reste un moyen facile de répondre à un besoin physiologique ponctuel même si beaucoup estiment qu’en se masturbant ils ont le sentiment de régresser à l’adolescence. Elle peut devenir pour certains une pratique tellement courante qu’elle en devient compulsive et blessante. Parfois l’homme ou la femme incarcérés ont des relations homosexuelles bien qu’étant hétérosexuelles à l’extérieur ; il s’agit là d’une sexualité de circonstance qui correspond rarement à un véritable choix.
Parler de sexualité en prison est un sujet doublement tabou, tabou parce qu’en prison il est rarement abordé de façon paisible et tabou parce que l’opinion publique estime que la privation de liberté inclut aussi la privation de la sexualité.
Il faut cependant faire remarquer que lorsque l’on enferme quelqu’un, on n’enferme pas ses désirs et que ceux-ci peuvent devenir désordonnés et sans cohérence par rapport à un projet de vie que la personne voudrait construire. La sexualité est une composante à part entière de l’être humain. Restaurer l’homme, c’est aussi restaurer cette part en lui.

* Jacques Lesage de La Haye est un psychologue, psychothérapeute reichien, analyste reichien et écrivain français né le 4 septembre 1938 à Fort-de-France (Martinique). Anarchiste militant, il fut condamné à 20 ans de réclusion criminelle qu'il passa à la centrale pénitentiaire de Caen. À sa sortie, il poursuivit ses études tout en militant activement au sein des mouvements libertaires.

 

Brice Deymié
Aumônier national des prisons, Fédération protestante de France

Source : La vie intime et affective des usagers, Proteste n°138, juin 2014