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Le droit au plaisir du corps

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woman in wheelchair enjoying outdoors beach

Il existe des droits restreints comme celui de pouvoir  jouir de son corps. Cette frontière frappe de plein  fouet les personnes porteuses de handicaps divers  somatiques et psychiques.

L’imaginaire collectif ne supporte pas si facilement l’expression publique des conduites personnelles. Il en résulte le confinement de l’imaginaire individuel en chacun de nous, avec le sentiment que celui-ci doit et ne peut que demeurer inaccessible. Subrepticement, cette censure fi nit par devenir inconsciente. Le moi s’identifie à l’imaginaire collectif en exprimant dans l’espace public ce qui lui apparaît normal, c’est à dire une fiction. Comme si la coexistence des imaginaires individuels suscitait une représentation collective qui ne leur était plus reliée…

Relier les imaginaires individuel et collectif
Dans cette césure s’engouffre le drame de la sexualité de la personne porteuse d’un handicap physique ou psychique. Car alors l’imaginaire collectif, sommé de faire place à l’imaginaire individuel, se trouve confronté à cette impasse apparente : tout à la fois faire droit aux pulsions naturelles et respecter la « bienséance » admise.
Or, porter attention à celui ou à celle qui justement n’a pas accès à ce divorce entre l’individuel et le collectif constitue le vrai témoignage du respect de l’Autre, aussi différent soit-il. Lui permettre avec le plus de simplicité et de délicatesse possibles d’éprouver les émotions les plus essentielles de l’humain, c’est le restaurer dans la communauté des vivants.

L’ambiguïté de l’engagement de l’aidant
Mais un acte d’amour physique ne peut se réduire à une manœuvre de rééducation musculaire ou nerveuse. C’est toute l’ambiguïté de l’engagement de l’aidant qui doit à la fois respecter l’intime, ne pas susciter d’espoir affectif qui pourrait être déçu et aller au devant du désir de l’autre. Il n’y a pas de règles écrites possibles. Il y a simplement un amour de l’autre, c’est à dire une préoccupation de son seul bien-être, mais un bien-être qui risque d’être limité à un plaisir fugitif et qui ne peut atteindre l’étrange sentiment éprouvé lors de la fusion avec l’autre. D’où l’éventualité d’une déception.

Permettre l’accès à la sexualité : un devoir éthique
En revanche, donner toute sa place à la facilitation d’une sexualité entre personnes porteuses d’un handicap qui puisse permettre cette fusion amoureuse devrait non seulement être possible, mais souhaitable.
S’abstenir de jugements rapides, sentencieux, véhiculant seulement l’imaginaire collectif, est une nécessité éthique. De la même façon que l’on ne retire pas de la bouche de l’affamé le plat fumant, il est légitime de donner toute sa place à une sexualité, même si elle dérange les « bons esprits », quelle que soit sa forme hétéro ou homosexuelle. Pour l’aidant, être absent pour ne pas être indiscret, être présent pour apporter une aide à peine exprimée sont les deux présence–absence simultanées et oxymoriques porteuses d’une véritable écoute et d’une attention à cette exigence si naturelle qu’est le droit de jouir de son corps.

 

Didier Sicard
Médecin, Ancien président du Conseil National Consultatif d’Éthique

Source : La vie intime et affective des usagers, Proteste n° 138, juin 2014